Auteur de cinq romans policiers dont le tout-dernier, le très réaliste et très sombre Au Commencement, est paru fin 2023 (chez HarperCollins) et s’intéresse au djihadisme et aux dérives radicales en France sur fond d’élections, Ivan Zinberg est aussi… policier. Capitaine, plus exactement. Une sorte de double vie qu’il réussit à compartimenter....


… En écoutant Morcheeba et en visionnant des films des années 80. Mais comment écrit-il ? Réponses ci-dessous avec tutoiement puisque l’on se connaît depuis longtemps.
Qu’est-ce qui a changé dans ton écriture, ta façon de construire tes romans depuis la publication de Jeux d’Ombres en 2014 ?
Ivan Zinberg : La principale évolution, c’est l’ancrage dans le réel. Mes premiers romans étaient beaucoup plus… disons… rocambolesques. Depuis Matière Noire (2019), mes intrigues sont plus vraisemblables, un peu plus documentées. Le précédent, Miroir Obscur (2017), était un véritable festival dans le genre, avec des rebondissements à la pelle, et j’avais l’impression d’avoir été au bout de quelque chose. J’avais envie dans mon écriture de parler davantage de mon métier de policier. Au départ, j’écrivais avec l’idée d’évasion. Comme celle que je trouvais dans certains romans que j’ai adorés et qui m’ont permis d’apprendre à raconter une histoire, je pense aux livres de Robert Crais, de Michael Connelly ou encore de Jonathan Kellerman. J’aimais bien les thrillers « californiens », même si parfois ils abusaient de grosses ficelles. D’ailleurs, mon évolution est passé par la géographie. J’ai relocalisé mes intrigues en France alors qu’auparavant, elles se situaient aux États-Unis. J’ai aussi appliqué à partir de Matière Noire un conseil avisé de Jean-Christophe Grangé : « Écrivez sur ce que vous connaissez. »
C’est aussi un conseil que donne Stephen King. Et que Maxime Chattam applique dans ses romans. Toi : où et quand écris-tu ?
Ivan Z. : Désormais, j’écris moins la nuit. Je le faisais beaucoup avant. J’ai un ordinateur, un seul, sur lequel je travaille. Je suis souvent allongé dans mon canapé, comme si je lisais. J’ai une petite tablette de support. C’est ma position préférée. Voilà, j’écris, allongé, dans mon canapé…
As-tu des rituels ?
Ivan Z. : Non. Je suis juste très concentré, comme dans un état second. J’expliquais récemment à ma femme que je pouvais des heures et heures ainsi, que j’oubliais le temps qui passait. Un peu comme dans une transe ou une sorte d’autohypnose. Cela va loin : il y a certains passages d’Au Commencement que je ne me souviens pas du tout avoir écrit.
Pour arriver à cet état de concentration, écris-tu en musique ?
Ivan Z. : Il peut m’arriver d’avoir un fond sonore, mais dans ce cas je cherche quelque chose de doux et que je connais très bien. Souvent, ce sont des vieux albums de Morcheeba (un groupe de trip-hop britannique des années 90 toujours en activité). Parfois aussi, j’ai la télé allumée avec des vieux films comme Scout, Toujours ! ou Le Flic de Beverly Hills. Ça m’amuse, j’y jette un coup d’œil et je me replonge dans mon écriture. Mais les trois quarts du temps, j’écris en silence.
Tu t’es marié aussi. Est-ce que cela a changé quelque chose ?
Ivan Z. : Je n’ai écrit qu’un seul roman en étant en couple, donc je n’ai pas beaucoup de recul (rires). Ma femme est souvent à côté de moi, et j’ai appris à écrire en étant accompagné. Elle peut m’interrompre. Cela ne me dérange pas.
Comment est né Au Commencement ?
Ivan Z. : L’idée, c’était de s’intéresser aux racines d’une dérive radicale, je pense à l’ultradroite, à l’islamisme mais aussi à d’autres mouvements de ce type comme l’ultragauche. Même si l’intrigue de ce roman est celle d’une histoire imaginée, elle est proche de choses sur lesquels j’ai travaillé et je travaille encore comme policier.
Ton personnage principal, le commandant Delmas, paraît très incarné tout en étant singulier. Il est par exemple asexuel, à la fois solitaire et sociable. Comment l’as-tu construit ?
Ivan Z. : Je voulais un personnage de flic humaniste. J’ai intégré quelques éléments qui m’intéresse comme le fait qu’il ait une sensibilité écologiste, qu’il s’intéresse aux dérèglements climatiques, etc. Pour l’asexualité, je me suis inspiré des écrits et du discours d’Ovidie (actrice de films X, auteure, journaliste, réalisatrice de documentaires et Docteur en Lettres) qu’elle développe notamment dans son livre La Chair est Triste. Delmas est commandant, il a un rôle d’encadrement mais il a aussi des comptes à rendre à ses supérieurs. Ce n’est pas un type qui est un très bon manager avec son équipe. Je voulais aussi parle de ça, du quotidien d’un policier. Un commandant comme lui au 36, rue du Bastion à Paris dirige un groupe d’enquête de 4 à 5 personnes. Moi, je suis capitaine et le chef d’une section de douze policiers. J’ai la charge d’une mission d’évaluation sur les violences urbaines et les mouvances radicales.
Sans dévoiler sa fin, ton 5ème roman raconte aussi en creux le malaise de la police. Voulais-tu qu’il résonne différemment ? Plus désabusé, « aquaboniste » que tes précédents livres ?
Ivan Z. : Je voulais dépasser l’intrigue policière, aller plus loin que les seules procédures, je voulais raconter la difficulté de ce métier, raconter la machine, l’administration… Je voulais faire quelque chose de plus original. Du moins, de mon point de vue. Je précise. Eh oui, Au Commencement dépasse la simple enquête policière.
Ivan Zinberg est un pseudonyme. Est-ce que tes collègues policiers connaissent ta double vie ? Est-ce qu’ils te lisent ?
Ivan Z. : Quelques-uns. Je sais qu’ils apprécient mes livres mais Au Commencement vient de sortir. J’attends de voir les retours de leur part. J’en ai eu de la part de plusieurs femmes de policiers qui ont été parmi les premières à le lire et qui m’ont dit merci. Il ne faut pas non plus accorder trop d’importance à tout cela. Au Commencement reste un divertissement.
Et toi, que lis-tu ? Est-ce que tu privilégies les romans écrits par des policiers comme Jean-Marc Souvira ou d’anciens policiers comme Olivier Norek ?
Ivan Z. : Il y a aussi les romans d’Hervé Jourdain. Je ne m’interdis rien. J’aime bien découvrir de nouveaux auteurs, je lis aussi beaucoup d’essais, ou des documents comme L’Obstiné (de Catherine Séguret et Raphaël Nedilko) ou encore Cold Case : Un Magistrat Enquête (de Jacques Dallest). Cela pourrait être d’ailleurs le thème d’un prochain roman, écrire sur une vieille affaire… J’ai pas mal évolué en tant que lecteur, c’est sans doute lié au fait que je suis rentré dans la police. Plus jeune, j’ai adoré les thrillers de Maxime Chattam ou ceux d’Olivier Descosse, mais aujourd’hui la mayonnaise prend moins bien avec moi. Je n’arrive plus à y croire. C’est un peu la même chose avec Grangé. Trop de rebondissements. Ce n’est pas grave. Je lis autre chose.
Interview Frédérick Rapilly
· Au Commencement, éditions HarperCollins, collection « noir » (2023)
· Matière Noire, éditions Cosmopolis (2019), réédition HarperCollins (2023)